lundi 11 octobre 2010

Le ventre

Il n'y a aucune raison de lire L'Ensorcelée de Jules Barbey d'Aurevilly (1852). C'est un livre d'aucune actualité, qui ne s'accroche à aucune des branches du monde moderne. Un goût affirmé pour la littérature et ses plaisirs vous épargnera de passer à côté de ce chef d'oeuvre.

Un jour, cherchant un peu de documentation sur Diderot, j'ai eu la chance de trouver un texte critique d'une mauvaise foi d'enragé de Barbey sur l'auteur de Jacques le fataliste. J'ai aimé le style comminatoire et affolé de cet ami de Léon Bloy. De surcroît, je pensais benoîtement que Les diaboliques, film de Clouzot, était inspiré d'une des nouvelles de Barbey d'Aurevilly. Je m'imposais donc la lecture d'un classique qu'un professeur de français mien, je me souviens, nous avait conseillé l'été de notre classe de seconde. Ce livre est profondément ancré dans son territoire, un chef d'oeuvre d'une portée universelle réduit dans quelques kilomètres carrées d'une terre désolée, la lande de Lessay, ou comme l'expliquait son auteur sur sa tentative, "faire du Shakespeare dans un fossé du Cotentin". En outre, ce roman du terroir, du folklore sulfureux des mœurs déchus, penche vers les aventures des perdants de l'Histoire, ajoutant aux intrigues leur part d'étrangeté et de mélancolie d'un monde vibrant sur le point de mourir et de ressusciter. Enfin, il est amusant de lire les complaintes de l'auteur se plaindre du monde moderne (le sien), ce qui pour nous lointain lecteur ne peut que nous faire dire que "décidément c'était mieux avant Avant" ou que "même notre n’est pas à la hauteur de leur après Avant".

Je propose de reproduire ici quelques citations dont le souci coïncide avec le goût de ce weblog. Comme l’indique le titre, nous avons trouvé une remarquable description d’un Ventre, ancêtre de tous les ventres, qu’ils soient Ventre Un, ventre Deux, fils du Ventre, etc…

"Il avait été fort célèbre dans le Cotentin, pays de grands mangeurs et de buveurs intrépides, et il était devenu, sur la fin de sa vie, d'un embonpoint si considérable qu'il avait été obligé de faire une entaille circulaire à sa table pour y loger la rotonde capacité de son ventre. Le curé de Blanchelande l'avait connu pendant l'émigration, à Jersey, où il étonnait et émerveillait les Anglais par les prodiges de son estomac, toujours prêt à tout, et le bon abbé Caillemer en avait conservé une telle mémoire qu'il n'achevait jamais un repas plantureux et gai sans parler du prieur de Regneville. On pouvait même apprécier le degré d'excitation cérébrale du curé par le nombre d'anecdotes qu'il racontait sur le prieur". p.129


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