Comme souvent, lorsqu'il est question de littérature, l'émission Répliques fut excellente. Le producteur Finkielkraut tirait profit de la parution d'un essai de Paul Yonnet qui y retraçait son parcours de lecteur. Celui-ci prit son commencement avec la lecture du Voyage au bout de la nuit, livre dont la tension, "le crépitement noir" lui firent une durable impression. J'ai moi aussi comme beaucoup d'autres éprouvé beaucoup d'admiration adolescente pour le roman et comme l'invité, je ne jurais que par lui. Parce qu'il exprime la douleur d'exister, la révolte contre l'ordinaire, je pense que l'adolescence est le bon moment pour le lire, on entend bien, à cet égard, que l'autre invitée, Claude Habib, l'a lu trop tard. Je dirais que le voyage... est un bon combustible pour l'adolescence. On le vit, il ne doit pas être cette curiosité qu'on visite poliment. Alain Finkielkraut retient pour sa part l'acuité du regard et le talent grandiose à faire vivre les descriptions, comme celle du crépuscule africain que vous pouvez lire plus bas.
Plusieurs idées stimulantes parcourent l'émission, "le Voyage est-il un livre pour les femmes?", peut-on parler comme Trotsky, en son temps, d'un "désespoir sincère qui se débat dans son propre cynisme", l'anti-kitsch systématique de Céline est-il trop simple? ("il ne suffit pas de rabaisser un homme pour le connaître", Alain), "Un livre anarchiste?". Puis, j'ai été amusé lorsque Claude Habib cite "la France qui ne se lave pas les pieds" selon Céline. J'ai toujours en mémoire la version de Drieu, qui évoquait la France de l'apéro et des pêcheurs à la ligne. Dans l'imaginaire de notre temps, nous connaissons tous la France d'en-bas du flegmatique et peu poétique Raffarin Jean-Pierre, j'en reste pour ma part à la France qui promène son chien que je m'attribue et dont les lecteurs dévoués de ce weblog ont peut-être relevé les occurrences. Je charge mon ami N.V. de nous trouver plus juste maxime. Et d'ailleurs, tant que nous tenons N.V., j'aimerais ses lumières sur l'antisémitisme de Céline, expliqué par l'invité (nation contre race) qui sont d'un grand intérêt. A vous.
Les citations:
Vivre tout sec, quel cabanon ! La vie c'est une classe dont l'ennui est le pion, il est là tout le temps à vous épier d'ailleurs, il faut avoir l'air d'être occupé, coûte que coûte, à quelque chose de passionnant, autrement il arrive et vous bouffe le cerveau.
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit
Figurez-vous qu’elle était debout leur ville, absolument droite. New York c'est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux mêmes. Mais chez nous, n'est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s’allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là l’Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur.
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit
Les crépuscules, dans cet enfer africain, se révélaient fameux. On n'y coupait pas. Tragiques chaque fois comme d'énormes assasinats du soleil. Un immense chiqué. Seulement, c'était beaucoup d'admiration pour un seul homme. Le ciel, pendant une heure, paradait tout giglé d'un bout à l'autre d'écarlate en délire, et puis le vert éclatait au milieu des arbres et montait du sol en traînées tremblantes jusqu'aux premières étoiles. Aprés ça, le gris reprenait tout l'horizon et puis le rouge encore, mais alors fatigué le rouge et pas pour longtemps. Ca se terminait ainsi. Toutes les couleurs retombaient en lambeaux, avachies sur la forêt comme des oripeaux aprés la centième. Chaque jour sur les six heures exactement que ça se passait.
Et la nuit avec tous ses monstres entrait alors dans la dance parmi ses mille et mille bruits de geules de crapauds.
La forêt n'attend que leur signal pour se mettre à trembler, siffler, mugir de toutes ses profondeurs.
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit
Proust, mi-revenant lui même, s'est perdu avec une extraordinaire ténacité dans l'infinie, la diluante futilité des rites et démarches qui s'entortillent autour des gens du monde, gens du vide, fantômes de désirs, partouzards indécis attendant leur Watteau toujours, chercheurs sans entrain d'improbables Cythères. (je n'ai pas les références).
L'émission est en écoute ici (pendant peu de temps encore, dépêchez-vous).
Plusieurs idées stimulantes parcourent l'émission, "le Voyage est-il un livre pour les femmes?", peut-on parler comme Trotsky, en son temps, d'un "désespoir sincère qui se débat dans son propre cynisme", l'anti-kitsch systématique de Céline est-il trop simple? ("il ne suffit pas de rabaisser un homme pour le connaître", Alain), "Un livre anarchiste?". Puis, j'ai été amusé lorsque Claude Habib cite "la France qui ne se lave pas les pieds" selon Céline. J'ai toujours en mémoire la version de Drieu, qui évoquait la France de l'apéro et des pêcheurs à la ligne. Dans l'imaginaire de notre temps, nous connaissons tous la France d'en-bas du flegmatique et peu poétique Raffarin Jean-Pierre, j'en reste pour ma part à la France qui promène son chien que je m'attribue et dont les lecteurs dévoués de ce weblog ont peut-être relevé les occurrences. Je charge mon ami N.V. de nous trouver plus juste maxime. Et d'ailleurs, tant que nous tenons N.V., j'aimerais ses lumières sur l'antisémitisme de Céline, expliqué par l'invité (nation contre race) qui sont d'un grand intérêt. A vous.
Les citations:
Vivre tout sec, quel cabanon ! La vie c'est une classe dont l'ennui est le pion, il est là tout le temps à vous épier d'ailleurs, il faut avoir l'air d'être occupé, coûte que coûte, à quelque chose de passionnant, autrement il arrive et vous bouffe le cerveau.
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit
Figurez-vous qu’elle était debout leur ville, absolument droite. New York c'est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux mêmes. Mais chez nous, n'est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s’allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là l’Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur.
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit
Les crépuscules, dans cet enfer africain, se révélaient fameux. On n'y coupait pas. Tragiques chaque fois comme d'énormes assasinats du soleil. Un immense chiqué. Seulement, c'était beaucoup d'admiration pour un seul homme. Le ciel, pendant une heure, paradait tout giglé d'un bout à l'autre d'écarlate en délire, et puis le vert éclatait au milieu des arbres et montait du sol en traînées tremblantes jusqu'aux premières étoiles. Aprés ça, le gris reprenait tout l'horizon et puis le rouge encore, mais alors fatigué le rouge et pas pour longtemps. Ca se terminait ainsi. Toutes les couleurs retombaient en lambeaux, avachies sur la forêt comme des oripeaux aprés la centième. Chaque jour sur les six heures exactement que ça se passait.
Et la nuit avec tous ses monstres entrait alors dans la dance parmi ses mille et mille bruits de geules de crapauds.
La forêt n'attend que leur signal pour se mettre à trembler, siffler, mugir de toutes ses profondeurs.
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit
Proust, mi-revenant lui même, s'est perdu avec une extraordinaire ténacité dans l'infinie, la diluante futilité des rites et démarches qui s'entortillent autour des gens du monde, gens du vide, fantômes de désirs, partouzards indécis attendant leur Watteau toujours, chercheurs sans entrain d'improbables Cythères. (je n'ai pas les références).
L'émission est en écoute ici (pendant peu de temps encore, dépêchez-vous).
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