vendredi 7 août 2009

L'amitié entre les amis

J'aime beaucoup le passage qui va suivre. Il est extrait du journal 2006 de Renaud Camus, L’isolation. C'est le troisième que je lis et à chaque fois ce sont des journaux qui se rapportent à une année paire, qui paraît-il ne sont pas les meilleures. J'ai lu celui-ci jusqu’au bout en sortant de l'hôpital, il m'a plu, surtout les passages sur sa mère. Il m’est d’avis que si l’auteur avait écrit un roman sur sa relation avec elle, qu’il l’aurait intitulé, au hasard, Trois jours chez ma mère, il aurait eu sans mal la place à l’Académie française. L’extrait ci-dessous vaut vraiment la peine d’être lu, on nous raconte la fin des peuples. Je pense alors à l’expression « amitié entre les peuples », elle n’aura plus aucun sens bientôt, alors que dira-t-on, « amitié entre … les amis », « amitié entre les amis du monde », voilà qui sonne bien.

-----

Lundi 28 août, neuf heures et demie du soir. Hier soir, au journal télévisé de France 2 on voyait un reportage sur le carnaval londonien de Notting Hill, lancé il y trente ou quarante ans par les immigrés jamaïcains, si je ne me trompe, et devenu, nous expliquait-on, une des grandes manifestations emblématiques du nouveau Londres, multiethnique et multiculturel comme il se doit. En effet, la foule semblait très gaie, les journalistes aussi. Un des marcheurs interrogés confirmait jovialement que là se forgeait l'avenir, puisque dans dix ans les blancs, à Londres, auront cessé d'être majoritaires - sur quoi la parole était rendue au studio de Paris, qui la reprenait gaiement, tout sourires, heureux d'avoir montré à ses chers téléspectateurs cette belle fête de l'amitié entre les... entre les quoi, d'ailleurs? Pas entre les peuples puisque tous ces marcheurs n'en font qu'un, officiellement ; certainement pas entre les races, puisque les races n'existent pas ; entre des individus et des groupes de toute origine ethnique, origine dont tout le monde se fiche, d'ailleurs, puisqu'il est convenu qu'elle n'a aucune importance, qu'il faut qu'elle n'ait pas d'importance.

Hélas, je ne dépasserai pas ma pensée en disant que la perspective d'un Londres et d'une Angleterre où les blancs, et disons plus précisément le peuple anglais, au sens traditionnel de l'expression, ne seront plus majoritaires, me plonge dans le désespoir. Bien entendu, la rééducation permanente à laquelle nous sommes soumis du soir au matin et du matin au soir fait tout pour me persuader que ce sera toujours le peuple anglais puisqu'il sera composé de détenteurs de passeports britanniques (laissons de côté l'Ecosse et le pays de Galles pour le moment). Et peut-être qu'un jour, par fatigue, par peur, par gâtisme, par lâcheté, par nécessité de ne pas crever de faim, peut-être qu'un jour je finirai par croire cela en effet, et par exemple qu'on puisse très bien être un excellent musulman, vivre dans un quartier ou dans une ville peuplés exclusivement de musulmans, aller toutes les semaines ou tous les jours à la mosquée, avoir une femme voilée des pieds à la tête, parler le pakistanais ou l'arabe plus que l'anglais et être un excellent Anglais. Peut-être un jour croirai-je cela, oui - ce sera certainement un grand progrès pour mon petit confort, pour la facilité de mon existence et pour ma popularité auprès des contrôleurs idéologiques qui sont postés à tous les coins de bois et à tous les guichets du centre médiatique (comme on dit centre commercial). Je crois déjà qu'on peut être dans ces conditions - celles de notre enturbanné ou dévot à longue barbe - un excellent homme homme, bien entendu. Cependant, et jusqu'à présent, faute de mise ou remise à niveau idéologique suffisamment intense, sans doute (et pourtant...), j'ai beau me battre les flancs je n'arrive pas à croire que pareil citoyen puisse être un Anglais appartenant à la culture et à la civilisation qui ont donné Laurence Sterne, Virginia Woolf, Tom Eliot, et Lawrence, et Turner, et Fountains Abbey, et Bateman's, et Doddington House, dans le Gloucertershire, / Son jardin ni le grand chien / Qui nous lêchait les mains... Non, non, non et non : cet homme appartiendra et il appartient déjà à un autre peuple, à une autre civilisation, à une autre culture, et la substitution qui aura eu lieu, qui a lieu sous nos yeux pendant que j'écris ceci et à laquelle nous sommes sommés manu militari ou judiciari ou professionnari d'applaudir de tout notre coeur, ne différera pas de beaucoup, même si la conquête est plus pacifique (ce qui n'est pas assuré), de la substitution des Espagnols aux Incas au Pérou, des Chinois aux Tibétains au Tibet, des Turcs aux Grecs dans l'ancien Empire byzantin (pages 344-346).

Tel, devant le cadavre de César, Marc-Antoine entamant subrepticement l'éloge mortuaire du grand mort tout en assurant que Brutus est un homme honorable, Vous pouvez bien nous assurer, cher Renaud, que l'enturbanné est un excellent voisin et puis chanter les beautés de notre civilisation.

Hélas, hélas, même en négligeant les précautions oratoires de Marc-Antoine (votre courage vous a assez exposé pour n'avoir plus à donner le change) vous parlez en vain au peuple de Rome abruti par les aboyeurs de la diversité et vous restez, noble et courageux Renaud, seul avec dans les bras le cadavre de César, bien heureux que le peuple ne vous réserve le même sort.

Aucun commentaire: