dimanche 14 décembre 2008

Miller's Crossing, un film des frères Coen

Qu'il est utile chers amis de se relire en ressortant d'une vie antérieure de blogiste un petit texte qui pourra servir au cas où nous viendrait l'envie d'évoquer ici le dernier film des frères Coen.


Pour accéder à l’œuvre des frères Coen, usons d’une corde dont les fils tressés lient alternativement un film noir et une comédie grand public. Il y a, en effet, deux types de films, celui dans la lignée de Sang pour Sang, qui atteint sa vertigineuse maîtrise dans Fargo et celui qui escalade un registre comique qui part de Arizona Raising pour atteindre le faîte de sa gloire en 1998 avec The Big Lebowski. Inscrivons nous dans le cadre des films les plus personnels de leur univers tant spatial que littéraire, le film noir, dont les intrigues sont complexes, nouées de manipulation, de cynisme et de violence, comme des pendants cultivés aux histoires de notre loueur de cassettes préférés, Q.Tarantino. Blood Sample enlisait au sens propre et au sens figuré les protagonistes dans les sables du Texas, Fargo dans la neige du Minnesota et Miller’s Crossing dans la forêt de la Louisiane. Ces films tracent des chemins complexes qui aboutissent au milieu de nulle part, c’es-à-dire, pour un critique germanopratin, en dehors de Paris ou pour être précis comme un GPS des no man’s land mentaux. Pour qui se délectait lors de son adolescence, comme moi, des sombres et jubilatoires perversités des frères Coen, faire un retour sur ce passé peut être une expérience d’une heureuse nostalgie. C’est ainsi que je voyais hier soir Miller’s Crossing pour la première fois alors que des films dits « commerciaux » tels que O’Brother, intolérable cruauté, avaient policé leur travail aux yeux des fidèles. Comme j’aime à paraphraser le critique pompeux, je dirais donc: retour sur une vraie expérience de cinéma.

La première impression est celle de se retrouver dans un univers codifié et ironique, le film de gangster et le cartoon, du Hitchcock et du Tex Avery, c’est excusez-moi du peu, savoureux. Une intrigue complexe, qui se noue, qui se dénoue, qui se perd, qui s’embrouille, comme une randonnée en forêt, des personnages mystérieux et grotesques, de la morale sans foi ni loi, des minables tout-puissants, des manipulateurs manipulés, nous retrouvions là le style des Coen.
Mais contrairement à Fargo, les scénaristes ont donné chair au grand manipulateur. Tom Reagan tire les ficelles et maîtrisent de bout en bout sa machination, alors que les protagonistes des autres films étaient systématiquement dépassés par les coups qui les échappaient tragiquement. On s’identifie à lui, certes, malin parmi les brutes, mais ces silences nous désarçonnent et son statut de loser qui s’assume (il a des dettes qu’il ne veut pas qu’on éponge pour lui et s’enfonce dans le jeu pour rembourser un dû qui se creuse comme une tombe se dit-on) le rend antipathique à nos yeux. Héros solitaire, cow-boy en chapeau mou, qui tire son épingle du jeu au milieu du désordre sanglant.

L’année prochaine, les frères signent leur retour dans cette veine et c’est tant mieux, c’est une bonne raison pour que ce fainéant d'Accompagnaman reprenne du service.

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