vendredi 13 juillet 2012

Le pianiste amputé

Par un hasard que seul favorise une vie culturelle dense, se tenait à Bruxelles la représentation de la suite pour piano opus 23 de Korngold. J'étais intéressé par le compositeur parce qu'il m'a été présenté comme un artiste émanant du Grand Vienne et parce qu'il y a quelques mois, un violoniste français, Laurent Korcia, en a assuré une excellente promotion. Il dit que Korngold n'a pas le succès qu'il mérite et que bientôt le grand public va s'emparer de ces œuvres, qui vont devenir des classiques parmi des classiques. Il souffre, paraît-il de son image de compositeur hollywoodien. Il a quitté l'Autriche nazie pour la côte-ouest américaine d'où il vivait par la confection de musique de film fait par l'émigration germanique. Le violoniste, aussi,  s'est fait une réputation dans le crosscover, il est tenu en estime par les puristes et les passants, donc, nous pouvons le croire. Mais où est le hasard, vous demandez-vous? Il se trouve que la suite pour piano est une œuvre pour main gauche. Le frère de Ludwig Wittgenstein, Paul Wittgenstein, était un pianiste virtuose qui a été amputé du bras droit durant la guerre. Des compositeurs célèbres, de toute l'Europe, dont Korngold, ont écrit des partitions pour main gauche, dédiées à Wittgenstein. En ce moment là, je lisais le livre de Thomas Bernhard, Le neveu de Wittgenstein, une amitié, dont le personnage principal est son homonyme Paul Wittgenstein (ils sont neveu et oncle, je crois), c'est sans raison particulière qu'en ce mois de juillet, les divagations de l'esprit me conduisirent sur le même sentier. J'assistais au concert avec un regard curieux sur la mécanique du pianiste qui ne fit fonctionner que son bras droit, son bras gauche qu'il ne s'est ni amputé par la circonstance, ni fixé le long du corps, lui servait à tourner les pages. C'était fascinant de voir cette mutilation en action de sorte que j'en fus contaminé, je n'avais plus conscience de mon corps, mais conscience de mon tronc. J'ai déjà, en conversation avec Elle, avoué qu'enfant, nous avions tous les garçons de mon âge une certaine attraction pour une fille qui boitait, et par mimétisme, nous nous mettions à boiter. Il y a là une digression Cronenbergienne, dont l’œuvre terminée après EXistenZ, reste à poursuivre.

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