samedi 30 juin 2012

Le naufragé, de T.Bernhard

Le titre du livre Der Untergeher écrit en 1983 par Thomas Bernhard a été traduit en français par Le naufragé et en anglais, The Loser. Je crois que la traduction de ce titre en anglais est tout à fait inconvenant, presque scandaleux et tendrait à éloigner davantage cette langue des canons de la Littérature, comme j'ai pu le penser un temps. Le livre est un monologue intérieur d'une centaine de pages que je m'étais procuré car il semblait centrer sur la personnalité du pianiste Glenn Gould. Je pensais naïvement y trouver l'équivalent du joueur d'échec, de Zweig transposé dans l'univers du célèbre pianiste. A sa lecture, je dirais que nous suivons l'ombre raté de ce pianiste virtuose, celui qui a été brisé par le génie de Glenn Gould, Wertheimer. Dans le livre français, il est nommé le sombreur. C'est un mot qui lui colle assez bien, bien qu'il semble incorrect, inélégant à l'oreille, à coup sûr, le mot allemand est mieux inspiré. C'est le désavantage de la traduction. J'ai essayé de trouver quelque chose de satisfaisant pour Untergeher, unter, sous et gehen, aller, j'ai à l'esprit l"idée d'aller en dessous, aller en deçà, puis à la page 162, nous avons la notion de cul-de-sac, d'impasse, j'ai alors développé l'idée - probablement incorrect- de celui qui va dans les impasses, les mauvais chemins. Je n'invente pas grand chose : et je me dis qu'il avait toujours été le sombreur dont Glenn Gould avait parlé, un cul-de-sac, voilà ce que Wertheimer avait été, me dis-je, sorti d'un cul-de-sac, il est entré encore et toujours dans un autre cul-de-sac. Wertheimer est la part maudite d'un Glenn Gould qui n'aurait pas été cet artiste si accompli en tout point, génie, perfection, célébrité, intégrité artistique, Wertheimer est un artiste, quoiqu'extrêmement brillant qui n'a jamais atteint le sommet de son art. Il y a un film qui s'appelait Der Untergang, qu'on a traduit la chute. Il est paradoxal qu'on a choisi un beau titre en français, Le naufragé et qu'on passe son temps dans le livre à employer un autre mot sombreur qui n'est pas usité.

Mais la catastrophe, pour Werheimer, s'est déjà manifestée au moment où Glenn a dit à Wertheimer qu'il était le sombreur ; ce que Wertheimer avait toujours su avait été formulé par Glenn Gould, soudainement et sans prévention, comme je dois le dire, à sa manière bien canadienne-américaine ; Glenn a porté un coup fatal à Wertheimer avec son sombreur, pensai-je, non pas parce que Wertheimer a entendu pour la première fois ce concept, mais parce que Wertheimer, sans connaître ce mot de sombreur, était depuis longtemps familiarisé avec le concept de sombreur et que Glenn Gould a formulé le mot sombreur à un moment décisif, pensai-je. Nous disons un mot et nous anéantissons un homme, sans que cet homme anéanti par nous n'aperçoive, au moment où l'anéantissons d'un mot, qu'il a reçu un coup fatal, pensai-je. (p.170)

C'est un très bon livre dont je recommande la lecture d'une seule traite, si vous pouvez en être capable.

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