Il y a des moments de civilité particuliers que peu de psychologues ou de grandes écoles françaises peuvent nous aider à appréhender. Des interactions humaines bizarres que même l'élégance de nos plus grands gentlemen ne peut surmonter. Je ne parle pas des "moments de solitudes" dans lesquels la honte s'ajoute au désarroi tant l'incident sort de l'ordinaire, je veux parler des menues incidents qui s'ils étaient analysés complèteraient les ratés indicibles de la communication entre deux êtres. Tout le monde a fait l'expérience de prendre congé d'une personne que nous ne connaissons pas-plus-que-ça, avec qui nous avons eu une petite discussion sur des sujets on-ne-peut-plus-banaux et qui nous a permis de faire le trajet entre l'ascenseur et la porte de sortie sans avoir à penser à notre misérable condition humaine et/ou aux ravages du capitalisme et/ou aux embouteillages qu'on doit encore affronter. Cette discussion agréable arrive à son terme et aucun des deux interlocuteurs sans se le dire -miracle de la communication- ne souhaite la continuer autour du tasse de café ou sur le parvis de l'endroit que vous venez de quitter avec empressement certes mais dans l'humeur égale d'une discussion. Vous prenez congé l'un de l'autre aussi courtoisement que possible pour montrer que ce n'est pas un soulagement mais une petite peine que la vie et ses événements nous imposent. Vous vous dîtes "A bientôt" ou "tchatchao" . Toutefois, il se révèle que vous allez dans la même direction et que vous marchez d'un pas égal, que même vous allez prendre le même bus. L'élégance vous place en porte-à-faux. La discussion a été close d'un franc point final, mais ne vous pouvez pas ignorer cette personne qui vous a fait l'amabilité d'un bon moment, faire comme si elle n'existait pas, vous ne pouvez reprendre une discussion après un au revoir si proche. Que faire? Les plus audacieux changent volontairement de chemin, c'est mon cas, les moins imaginatifs refont le plus lentement possible leurs lacets jusqu'à disparition de l'intrus, les plus fous courent, mais se font "capter" parce qu'on les retrouve dans le même bus trois minutes plus tard, en général, pris à leur propre piège, ils miment la folie ou l'épilepsie ou mettent leur sac sur la tête. Fort heureusement, l'homme moderne a inventé l'outil, la prothèse pourrais-je dire pour surpasser cette gêne et ce traumatisme social, le téléphone portable, la tablette électronique. C'est très, très malotru, mais c'est communèment admis. Dans la plupart des cas, les personnes sortent leur matériel et s'activent dessus afin d'ignorer le plus naturellement la personne avec qui nous sommes dans un embarras insoluble, on peut aller jusqu'à écouter la musique dans un casque pour créer une bulle où l'autre sera exclu sans que personne s'en offusque. Et là je dis : "bien joué". C'est un tour de force de la technique qui renforce notre civilisation car elle modèle les codes et les conventions pour le plus grand soulagement de chacun. Un autre exemple me vient à l'esprit. Qu'en pesez-vous? Votre voisin de palier, de machine à café, de place de parking, que vous voyez de temps à temps avec qui vous avez des conversations de plus en plus longues et de plus en plus privées, vous livrent des détails de sa vie, partagent des moments clés de sa journée et pourtant, bêtement, vous ne vous êtes jamais préalblement présenté, la première rencontre, je crois, était fortuite, si bien que vous ignorez son nom et son prénom. Il vous est impossible à ce niveau d'interaction de revenir aussi lourdement en arrière. "Au fait, tu t'appelles comment?". C'est une regression et pourtant, il faut faire quelque chose, car si un moment l'autre remarque que vous ne connaissez même pas son prénom. Je connais des filles françaises - elles sont les seules au monde à le faire avec une telle brutalité mêlée d'ingénuité et si naturellement- qui parviennent sans ciller à interroger un "ami" sur son identité nominale. Il reste une convention à inventer.
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