jeudi 2 avril 2009

Keynes et les zombies

Je reviens, si vous le voulez bien, sur l'éclatement de la bulle financière, ou ce qui est mieux connu sous le label, la plus-grande-crise-depuis-1929. Je cherchais un article qui remet en cause l'absolu nécessité des plans massifs d'Etat. Nous entendons souvent de la bouche des politiciens que les plans ne sont assez importants, mais s'est-on interrogé sur la pertinence de ces plans de relance qui endette les états. Je reproduis un article d'Augustin Landier et David Thesmar qui s'interrogent sur les politiques keynésiennes et les travers qu'elles induisent. C'est assez stimulant et pédagogique, isn't it?

Keynes et les zombies, publié dans le journal Les Echos, le 1er avril2009

Face au creusement de la récession, et à l'ampleur des moyens mis en œuvre outre-Atlantique pour relancer l'économie, un consensus semble se former : il faudra un second plan de relance. La logique de ces plans de relance est keynésienne. Lorsque l'État donne du revenu aux agents (entreprises, ménages), ceux-ci le dépensent, ce qui crée en retour davantage d'activité, de revenu et à nouveau de dépense. C'est l'effet multiplicateur : en théorie, chaque euro de dépense publique doit engendrer plusieurs euros d'activité supplémentaire. En pratique, pourtant, les macroéconomistes sont bien loin d'être unanimes sur l'existence du miracle keynésien. Selon certaines estimations basées sur l'histoire passée, chaque euro de dépense publique crée moins de 1 euro de PIB. Il y a donc des pertes en ligne.

La réponse française à cette incertitude est celle de la relance par l'investissement. L'idée est simple. Puisqu'on n'est pas sûr de pouvoir redémarrer la machine en stimulant directement le pouvoir d'achat, il pourrait sembler plus judicieux de soutenir l'investissement. Ainsi, les deniers publics serviraient au moins à accroître la croissance de long terme. La politique économique en France cherche donc à faire d'une pierre deux coups : relancer la demande à court terme en investissant pour l'avenir via la politique de grands travaux (autoroutes), la protection des industries stratégiques (automobile), la subvention de l'investissement (extension des garanties de crédit).

Mais, précisément parce qu'ils sont taillés pour ce double emploi, ces dispositifs risquent de peser durablement sur la capacité de notre pays à retrouver le chemin de la croissMaance. Lors d'une récession, certains secteurs subissent des vagues de faillites et de restructurations. Dans ces cas, la tentation est grande de chercher à protéger les emplois et les entreprises menacés via des subventions à l'investissement, à l'emploi, voire des protections tarifaires. Mais outre que les nécessaires ajustements doivent tôt ou tard se produire, les interventions publiques dans la politique d'investissement détournent les ressources que certaines entreprises pourraient mettre à profit pour se développer, pour les diriger vers des entreprises sans avenir mais à fort poids politique.

La « décennie perdue » de l'économie japonaise nous apporte un exemple frappant des effets pervers de ce type de cécité. A l'aube des années 1990, les banques ont continué à prêter aux entreprises en faillite, car cela leur évitait de reconnaître les créances douteuses dans leurs bilans. Ce faisant, le système bancaire japonais, avec la bénédiction des pouvoirs publics, a entretenu une armée de zombies, qui ont mobilisé capital et travail tout au long des années 1990 dans des secteurs et des entreprises sans perspective. Privées de ressources, les entreprises saines se sont étiolées, perpétuant la stagnation économique pendant près de dix ans. Les morts-vivants ont donc vampirisé les vivants en les privant de ressources. Plus proche de nous, l'expérience des réformes bancaires des années 1980 en France montre que le fait de laisser les banques prêter seulement aux entreprises rentables, plutôt que de multiplier les prêts subventionnés, a été un bon moyen de promouvoir l'emploi et la croissance.

De cette analyse, nous tirons deux leçons pour la France d'aujourd'hui. Premièrement, pour préserver notre capacité à croître dans le moyen terme, il faut laisser le marché opérer les restructurations douloureuses. Il faut cesser de maintenir une industrie déclinante sous perfusion de fonds publics mais au contraire accélérer le transvasement du capital et des hommes de notre économie vers les services : l'obsession industrialiste de nos hommes politiques est à ce titre néfaste. Deuxièmement, quelle que soit en définitive la taille du multiplicateur keynésien, orienter les fonds publics vers les ménages paraît très largement préférable à la relance par l'investissement. En effet, la subvention de l'investissement aboutit toujours à encourager les entreprises peu rentables à investir davantage et à protéger les secteurs déclinants. A l'inverse, la relance par la consommation permettra de limiter la casse sociale liée aux nécessaires restructurations à venir. La relance keynésienne par la consommation n'est sans doute pas le miracle de la multiplication des pains mais elle aura au moins le mérite de nous éviter la nuit des morts-vivants.

Augustin Landier est professeur assistant à l'université de New York (NYU Stern). David Thesmar est professeur associé à HEC et directeur scientifique du BNP Paribas Hedge Fund Center


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