mercredi 8 octobre 2008

John le Carré par Percy Kemp

En furetant dans les bacs en bois d'un brocanteur du boulevard A., j'ai parcouru quelques lointaines éditions d'une revue qui avait mes faveurs à l'université et qui était négligemment coincée entre telles revues de sociologie belge de l'entre-deux-guerre ou telle autre de science politique d'une province française enfouie dans laquelle se distinguait un enseignant mien spécialiste d'analyse des données textuelles et qui connut son heure de gloriole lorsqu'il affirma que Corneille et Molière ne faisaient qu'une et seule même personne. Cette revue coûtait à l'époque quatre-vingt-neuf francs. On pouvait désormais s'en procurer pour une somme dérisoire, un euro. D'aucuns, -des grincheux-, prétendent que c'est la juste mesure qui sépare le magistère de Paul Thibaud aux gesticulations des successeurs. Mais je ne les rejoindrais pas là sur ce terrain pentu et glissant, je me bornerais à de simple constats de portefeuille d'apothicaires. Un exemplaire retint mon attention. En mai 2003, Esprit publia un dossier sur Günther Anders, le philosophe allemand, qui avait attiré mon attention par le biais d'un titre gracieux et profond, d'apparence, l'obsolescence de l'homme. De surcroît, la revue nous promettait une critique* de l'œuvre de l'écrivain John le carré, que je connais peu, sauf par l'ouï-dire dithyrambique de mon ami roulio. Je vous en fais un petit résumé, avant d'envoyer par courrier postal une impression dudit article à mon ami kosovar (car roulio s'appelle de son vrai nom roulio-du-kosovo).

D'après Percy Kemp, le grand mérite de John le carré fut d'introduire dans ces récits d'espionnage le facteur humain au cœur de la mécanique implacable de la guerre froide. Celle-ci, en effet, par le biais de l'idéologie, avait mis de côté les notions de "rivaux" (avec qui on peut vivre) pour laisser place aux "ennemis irréductibles" (qu'on doit anéantir), aussi ignorants et fermés de l'un à l'autre. La guerre froide, symbolisé par le Mur de Berlin, se caractérisait par un état de tension extrême entre acteurs qui ne se connaissaient pas, où rien ne se passait avant l'imprévisible et soudain moment du chaos fatal. John le Carré restitue les manigances de l'ombre en appuyant sur les émotions proprement humaines (jalousie, trahison, amour, ambition, vengeance) qui ont déjoué l'apparente mécanique de guerre froide. Ainsi, avec la Trilogie de Smiley, John le Carré aurait fait pour ce conflit le poème épique que Tolstoï fit pour les guerres napoléoniennes, que Shakespeare fit pour la guerre des Deux-Roses, et qu'Homère fit pour le guerre de Troie.
Je crois savoir, cher roulio que c'est surtout la complexité des intrigues qui nourrit votre enthousiasme, mais est-ce que ce que semble dire ce lecteur y a-t-il sa place?

*Percy Kemp, Un espion naïf et sentimental, Portrait de John le Carré, Esprit, mai 2003

2 commentaires:

joules a dit…

Je ne sais pas si il est vraiment possible de comparer Le Carre a Tosltoi, ni a Shakespeare (surtout que je n'ai jamais entendu parler d'eux) mais ce que Kemp dit concernant la complexite psychologique des personnages est tout a fait vraie. Le Carre donne une vision humaine, voire, oserais-je mot? - romantique de la guerre froide. La situation politique est gelee, par les hommes qui s'affrontent. Et puis, oui, l'intrigue est souvent dense, extraordinairement bien posee, a tel point que ce que je preferre dans ses livres ce sont les 100/200 premieres pages, ou le brouillard se dechire lentement, ou les personnages se mettent en place, et du chaos initial sort une enigme formidablement bien amenee, dans un style toujours souple et drole. Lisez la taupe, et les deux suivants. Devorez l'espion qui venait du froid, la maison russie. Et visionnez l'excellent "tinker, tailor, soldier spy" - mon dieu, quel titre! de la BBC, avec Alec Guinness dans le role de Control.
roulio-du-kosovo

Anonyme a dit…

Romantique, c'est exactement le mot de l'auteur (mais ne serais-tu pas Percy Kemp?).