jeudi 21 janvier 2010

La femme pauvre, Léon bloy

Je lis et termine La femme pauvre, un roman de Léon Bloy. C'est très bien écrit, avec force raccourci, je dirais que Céline plus Zola égale Bloy. En effet, né en 1846, l'écrivain préfigure par ces vociférations, son style de sabreur impétueux la verve argotique, l'écriture ample de Céline. L'épisode de la maison de Montrouge (p.229) est un morceau de bravoure digne de certains passages du Voyage. Le naturalisme misérable et morbide des descriptions penchent du côté de Zola. Cependant, le plaisir de lecture nous accompagne incessamment. Le style, la beauté des noms, la richesse du vocabulaire ou le mordant des descriptions atténuent l'atrocité des situations et la difficulté de pénétrer une mystique chrétienne datée. On a souvent reproché à Bloy de se complaire dans l'invective fangeuse, mais ne manquez pas son style, ses personnages trop misérables et trop grands pour entrer dans un roman.

Il fallu croupir six mois. Il y eut d'abord le printemps qui rajeunit et dilata la pestilence, puis l'été qui la fit bouillir et l'exalta. Une végétation pisseuse, galeuse, hypocondriaque et vindicative se déclara dans le jardin, où coururent des légions d'insectes noirs. Des fleurs, autrefois semées par des mains réfractaires à toute bénédiction valable et qui eussent détérioré le flair d'un dogue, balancèrent sur l'étroit sentier leurs cassolettes habitées par des pucerons effrayants...
Une vérité incontestable, c'est que le chrétien, le vrai chrétien pauvre, est le plus désarmé de tous les êtres. N'ayant pas le droit ni la volonté de sacrifier aux idoles, que peut-il faire? si son âme est haute et forte, les autres chrétiens vautrés devant tous les simulacres, se détournent de lui en criant d'horreur. Les divinités infâmes le regardant avec leurs faces de bonze et les renégats humiliés par sa constance demandent qu'on le livre aux bêtes. S'il tend la main pour implorer une aumône, cette main plonge dans une fournaise... (p.225)
Les puissances de l'air paraissaient en complicité avec la canaille dont c'était le grand jubilé. Le solstice tempérait ses feux, pour six cent mille goujats se soûlassent confortablement au milieu des rues transformées en cabaret; la rose des vents bouclait son pistil, ne laissant flotter qu'un léger souffle pour l'ondulation des oriflammes et des étendards; les nuages et le tonnerre étaient refoulés, pourchassés au delà des monts lointains, chez les peuples sans liberté, pour que que les bombes et les pétards de l'Anniversaire des Assassins pussent être ouïs exclusivement sur le territoire de la République.(p.189)

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